Entretien avec Julien BRIOT-HADAR
Julien BRIOT-HADAR est un expert en compliance doté d’une solide expérience dans le financement de projets, l’énergie et le secteur bancaire, tant en France qu’à l’international (Luxembourg, Maghreb et Sénégal). Il est également l’auteur de l’ouvrage « Dans les méandres de la fraude fiscale » (Ed. Legitech).
- On a beaucoup parlé, notamment depuis les Gilets jaunes, de l’effritement du consentement à l’impôt. D’où vient cet effritement et quelle distinction peut-on opérer entre « civisme fiscal » et consentement à l’impôt ?
La répartition de la contribution fiscale émane du contrat républicain. Et pour cause, le droit fiscal est fondé sur une notion centrale, celle du « consentement à l’impôt », inscrite à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. [1] »
Ne l’oublions pas, dans une démocratie, le lien entre l’individu et la société s’effectue par l’impôt.
Malheureusement, certains l’ont oublié et ne font guère preuve de « civisme fiscale ». En effet, ils fraudent intentionnellement l’administration fiscale française ou, pour les plus ingénieux ou peut-être les moins risquophobes, pratiquent l’optimisation fiscale, via souvent des rescrits fiscaux (l’optimisation fiscale est légale, le problème que certains évoquent est un problème de moralité).
De la banalisation de la déviance fiscale par certains, qui délaissent l’ancienne morale publique du salut de la nation au profit d’une rationalité économique individualiste assujettissant le civisme fiscal à un calcul d’intérêt, naît un sentiment d’injustice fiscale dans la population. Ce dernier participe à la dégradation du consentement à l’impôt.
C’est ainsi qu’est né, en octobre 2018, le mouvement des Gilets jaunes qui a repris l’aphorisme de l’économiste anglais, Nicholas Kaldor « Les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent et les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent ».
- Quels sont les principaux défis en matière de renforcement du consentement à l’impôt ?
Le renforcement du consentement à l’impôt passe par la pédagogie. En effet, une action pédagogique visant à expliquer le rôle de l’impôt est déterminante. La complexité du sujet est extrême et conduit certains à des confusions. Dans un contexte de crise au sein duquel l’individualisme tend à se développer fortement, il est vital de faire comprendre que, quelle que soit la sensibilité politique et citoyenne de chacun, l’impôt joue un rôle majeur dans notre société. Ceci suppose de donner plus d’explications aux citoyens sur le rôle des impôts (notamment le rôle des politiques fiscales dans la financement des services publics) mais aussi sur l’organisation des impôts.
Le renforcement du consentement à l’impôt ne peut toutefois pas se borner à de la communication. Assurément, cela passe par la restauration d’un impôt progressif sur les patrimoines et les revenus :
• Augmenter les droits de succession sur les hauts patrimoines en comptabilisant l’ensemble des dons et héritages reçus tout au long de la vie ;
• Évaluer chacune des niches fiscales et supprimer les niches injustes ;
• Instaurer un impôt sur les entreprises basé sur l’activité réellement effectuée en France :
• Rétablir l’exit tax ;
• Revoir le barème de l’impôt sur le revenu ;
• Supprimer le prélèvement forfaitaire unique pour que tous les revenus (revenus financiers et plus-values financiers) soient imposés au barème progressif.
Pour finir, pour prouver son engagement, le gouvernement français doit créer un secrétariat d’État dédié à lutte contre la fraude fiscale et embaucher de nouveaux fonctionnaires au sein des services de recherche et de contrôle de la DGFiP ainsi que des services spécialisés. Dans les brigades départementales, par exemple, la suppression des effectifs d’appui (agents de catégorie C et D) a conduit les enquêteurs à effectuer des tâches chronophages de secrétariat en plus de leur mission de contrôle fiscal.
- Les élections européennes approchent, quelle devrait être l’orientation fiscale de l’Union européenne dans le monde actuel, tant en matière de fiscalité des entreprises que de fiscalité des particuliers ?
Le premier pilier concerne le principe de pleine concurrence applicable aux manipulations de prix de transfert. Il semble essentiel de remplacer le système de prix de transfert actuel et le principe de pleine concurrence par un système qui imposerait les multinationales sur la base de leurs bénéfices consolidés.
Harmoniser au niveau de l’Union européenne la TVA intracommunautaire semble le deuxième pilier. En effet, cela permettrait de modifier le principe selon lequel les livraisons intracommunautaires de biens, expédiés ou transportés d’un État membre à un autre, sont exonérées en France et les acquisitions intracommunautaires de biens, expédiés ou transportés à destination d’un État membre, sont imposables dans cet Etat membre. Cette mesure marquerait la fin de la TVA intracommunautaire dite « carrousel ».
Pour finir, il me semble nécessaire de modifier les traités pour permettre de prendre des décisions fiscales à la majorité fiscale. Certains pays de l’Union européenne ne font pas de la lutte contre la fraude fiscale un objectif mais disposent néanmoins d’un pouvoir de blocage. Il est essentiel de lutter contre la concurrence fiscale dommageable entre les États membres et de promouvoir la « bonne gouvernance fiscale ».