L’ épargne populaire spoliée par Macron

, par Équipe de l’Observatoire

Entretien avec Nicolas Galepides, Sud PTT, membre de la Convergence des Services Publics. Questions posées par l’ observatoire de la justice fiscale .

- en quoi consiste l’épargne réglementée et quel est son rôle (que finance -t-elle) ?

Issue d’un concept vieux de 200 ans, l’épargne règlementée est aujourd’hui utilisée par la quasi-totalité de la population avec des encours de 813 Milliards d’€ fin 2020 dont 429,5 Md€ pour les Livrets A et LDDS. Le livret d’épargne n’est pas un produit financier comme un autre. Il est populaire par essence et concerne toutes les catégories de revenus, des plus élevés aux plus modestes (avec un plafond de 22 950 € pour le ivret A et 12000 € pour le LDDS ), en passant par les organismes associatifs type offices HLM (pas de limite de plafond), voire même des organisations syndicales (plafond 76 500 €), il reste un facteur essentiel de cohésion sociale.
Au 31 décembre 2020, le nombre de livrets A s’élevait à 55,7 millions, dont 54,9 millions détenus par des personnes physiques et 0,8 million détenus par des personnes morales. Coté LDDS, l’encours des 24,3 millions de LDDS détenus fin 2020, s’établissait à 121,5 milliards d’euros.

Environ 60% de l’encours du Livret A est centralisé et sécurisé à la Caisse des dépôts (CdC) dans le Fonds d’épargne et investi depuis son origine dans des prêts à long terme (pouvant aller jusqu’à 60 ans) pour financer des besoins d’investissement d’intérêt général (logements sociaux ; collectivités locales ; infrastructures et équipement du territoire, etc..). L’épargne populaire centralisée et protégée par la CdC a financé la construction de près de 70 % du parc de logement sociaux HLM par la voie des prêts de long terme. Aux termes de la loi PACTE de 2019, la part non centralisée à la CdC (40%) conservée par les banques dans le cadre du Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, soit 202,8 Md€ fin 2020, doit être utilisée à 80 % pour financer les PME, 10 % pour financer les projets contribuant la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, et 5 % pour financer l’économie sociale et solidaire. D’après la Banque de France sur la base de données fournies par les banques, le seuil de 10% de financements consacrés à la transition écologique n’était pas atteint en 2020. Cette part non centralisée est par ailleurs rémunérée à 0,3% des encours en rétribution de la gestion de ce produit d’épargne, soit environ 800 millions d’€, une somme qui est directement prélevée sur les encours des livrets. Un défraiement bien généreux et sans contrepartie quand la Banque Postale offre des possibilités de « porte monnaie » aux détenteurs de Livret A contre une rétribution de 350 M€/an prélevé sur fonds d’épargne. En effet la possibilité d’ouvrir un Livret A qui est donnée à toute personne qui en fait a demande auprès de La Poste est inscrite dans la loi. Une série d’opérations sont possibles comme l’émission de chèques gratuits, les retraits d’espèce aux guichets et dans les DAB de La Poste, la domiciliation de certains prélèvements et virements comme EDF ou le trésor Public. Aucune de ces opérations n’est possible avec les autres banques.

- dans quelle mesure il s’agit d’une épargne populaire ?

Elle concerne tous les niveaux de la société. On en veut pour preuve l’afflux extraordinaire de liquidités pendant les exercices 2020 et 2021 avec pourtant des taux rémunérateurs faibles avec toujours la mission d’accessibilité bancaire du Livret A qui est restée largement utilisée par les clientèles défavorisées. Sur le papier, la sécurisation des dépôts garantie par l’État et le contrôle par le Parlement en font une institution unique en son genre, à la fois propriété du peuple et à sa disposition de par ses investissements au service de l’intérêt général.

- quelles mesures vient de prendre le gouvernement concernant la rémunération de l’épargne réglementée ?

Le ministère de l’économie et des finances vient d’annoncer le relèvement de 0,5% à 1 % du taux de rémunération des livrets A et LDDS détenus respectivement par 57 millions et 22 millions de personnes à compter du 1er février 2022, ainsi que le passage à 2,2 % du taux du Livret d’épargne populaire (qui ne concerne que 7 millions de titulaires pour 15 millions de ménages éligibles et dont le plafond est limité à 7700 euros). La Banque de France est chargée d’effectuer le calcul des taux des livrets semestriellement. Ces taux sont calculés selon une formule qui établit la moyenne entre le taux interbancaire de la zone Euro et l’indice des prix à la consommation hors tabac de l’ensemble des ménages, appréciés en moyenne sur les six derniers mois. Détail important, le mécanisme est assorti d’un taux plancher de 0,5 % depuis 2020.

- votre collectif sur la convergence des services publics accuse le gouvernement de spolier les épargnants ? Pourquoi ?

Comme le rappelle Bruno Lemaire c’est la première hausse du taux depuis une décennie. Le problème c’est que depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le taux est toujours resté en deçà de l’inflation, à l’exception compréhensible de l’année du déclenchement de la pandémie, entraînant une perte de ce placement d’épargne populaire rémunéré jusqu’en février 2022 à 0,50%.

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En 2008, avec Christine Lagarde au ministère de l’économie et Nicolas Sarkozy à l’Elysée ou encore en 2016 avec François Hollande au pouvoir, les taux des livrets ont toujours été supérieurs à l’inflation. Le moins qu’on puisse dire est que la satisfaction des besoins sociaux des classes populaires n’était pas la première préoccupation de ces dirigeants. Pour la période 2017 – 2021, selon une estimation de la CGT Caisse des Dépôts, la perte cumulée. de pouvoir d’achat de l’épargne réglementée sur les 5 dernières années dépasse les 17,2 milliards d’euros. Avec des prévisions d’inflation à moyen terme autour de 2% (source BCE), la fixation du taux à 1% au premier février 2022 n’est donc pas une bonne nouvelle. L’administration économique de la séquence Macron organise ainsi le maintien de la rentabilité négative des livrets. On est bien dans la doctrine néolibérale qui voit l’État intervenir systématiquement en faveur du capital, rompant avec 200 ans de rémunération positive de l’instrument de placement le plus populaire du pays.
A la lumière de l’importante collecte des livrets de 2020 et 2021 malgré des taux faibles, il est évident que les attaques incessantes contre leur concept pour les rendre moins attractifs n’ont pas abouti. Le risque de « cannibalisation » des fonds par les forces commerciales du milieu bancaire qu’évoquait le rapport Camdessus en 2008 n’est pas devenu une réalité au grand dam des places boursières et bancaires.

- Le gouvernement prétend que le bas niveau des rémunérations est favorable au financement du logement social ? Pourquoi cet argument est fallacieux selon vous ?

 Les arguments du gouvernement ne tiennent pas longtemps devant la politique qu’il suit depuis 2017, avec une baisse moyenne des financements de nouveaux logements sociaux (15, 1 Md€ en 2017 et 11,3 Md€ en 2020). A ce rythme, l’objectif de 250 000 logements sociaux supplémentaires fixé entre 2021 et 2022 par le ministère du logement est inaccessible.
 Cette politique de la terre brûlée sociale a conduit également à la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL) avec un effet direct sur les capacités d’investissement des organismes de logement sociaux appelés à compenser la baisse des APL, avec un déficit évalué à 2 milliards d’€ par an.
 Un bas niveau de rémunération des livrets n’a pas beaucoup d’incidence sur des prêts qui s’échelonnent jusqu’à 60 ans avec une durée courante de 35 ans. Sur ces durées, la hausse moyenne des loyers permet un effet de reporter et de lisser les effets des taux des crédits.
On relèvera aussi le comportement discrétionnaire de l’État qui prélève sur le Fonds d’épargne entre 500 millions et un milliard d’€ par an en rémunération de sa « garantie ». Une belle prime de risque qui représente 2 à 3 fois plus que le faible relèvement du taux. Une prime qui si elle restait dans les fonds d’épargne permettrait de proposer une bonification aux organismes emprunteurs pour l’intérêt général.

- Une campagne d’ONG, menée notamment par Attac en 2018, a montré que l’épargne collectée par le LDDS ne sert pas intégralement au développement durable et à la solidarité. [1]

Le côté « patrimoine public » de l’épargne réglementée ne fait aucun doute, mais malgré un « contrôle » du Parlement on constate qu’en fait ce sont le gouverneur de la Banque de France et le gouvernement qui mènent la danse sur le sujet. Nous revendiquons donc la mise en place rapide d’un Haut Conseil de l’épargne réglementée rassemblant toutes les parties prenantes (et non plus le seul éternel trio Bercy- Banque de France – lobby bancaire), y compris les associations de consommateurs représentatives et les organisations syndicales. Toutes les questions (réglementation, rémunération, finalités d’intérêt général …) touchant à l’épargne réglementée devront pourvoir y être débattues de manière transparente et contradictoire, dans le seul souci de l’intérêt général et avant toute prise de décision des pouvoirs publics. Il s’agit là d’un impératif démocratique. Qui vise à mettre en responsabilité et donner un vrai pouvoir aux premiers intéressés au dossier, en l’occurrence la collectivité.

Ces instances incluraient des usagers, des représen­tants des personnels et des élus , avec une égalité de nombre , de droits et de pouvoirs . Elles seraient créées à l’échelle des départements et au plan natio­nal.
Au plan national, elle serait composée de la même façon que dans les départements. Elle serait l’inter­locuteur des pouvoirs publics, et travaillerait en lien avec le Comité consultatif du secteur financier .
Dans les départements, elles assureraient le lien avec les réseaux bancaires , avec la Banque de France, et avec le réseau postal , notamment avec les commis­sions départementales de présence postale territo­riale .
Ces commissions devraient elles‐mêmes être réfor­mées pour inclure des représentants des personnels et des usagers et pour financer le maintien et le dé­veloppement des bureaux de poste et non pas leur suppression et leur remplacement par des relais commerçants et des agences communales comme c’est le cas actuellement, avec comme conséquence une réduction des services rendus au public.