Réflexions sur le financement de la Sécurité sociale

, par Équipe de l’Observatoire, Vincent Drezet

Déficits sociaux et publics, dette publique, pour tenter de justifier sa réforme, le gouvernement n’en finit par d’asséner des chiffres, tout en refusant de revoir l’organisation et le niveau des finances sociales. Le financement de la Sécurité sociale est devenu incohérent et complexe (1). Il mérite d’être repensé (2) et de permettre également de financer l’ensemble des besoins sociaux, notamment en matière de retraites (3). Car au fond, il s’agit bien de « reprendre la main » pour éviter aux politiques d’austérité de le faire (4).

1/ Un financement illisible, complexe et instable

En 1945, les ordonnances des 4 et 19 octobre jetaient les bases d’un système de sécurité sociale en France inspiré du modèle « bismarckien » fondé sur le principe d’assurance sociale (gestion par les partenaires sociaux, financement par des cotisations à la charge des employeurs et des salariés). Elles visaient également à réorganiser les assurances sociales des années trente et reconnaissaient le rôle complémentaire des mutuelles. L’ordonnance du 4 octobre avait vocation à créer un régime général rassemblant l’ensemble des actifs mais reconnaissait l’existence de certains régimes particuliers dits « spéciaux ».

Depuis, la Sécurité sociale a connu de profondes évolutions. Il en va ainsi de la généralisation de certaines prestations (remboursements de frais de santé et prestations familiales) à toute la population, leur conférant un caractère universel sans lien avec l’activité professionnelle et les revenus. Il en va également des droits de retraite non contributifs (comme le minimum vieillesse, attribué sous condition de ressource) par exemple.

La création de certains prélèvements sociaux (les « impôts affectés ») a élargi l’assiette élargie des recettes sociales, au-delà des revenus du travail. Tel a été le cas avec la contribution sociale généralisée (CSG) et l’affectation d’autres impôts et taxes aux caisses de Sécurité sociale (droits sur les tabacs et les alcools, TVA…). Toutes branches confondues, la part des cotisations (266,1 Md€ en 2021) dans les produits nets des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) a baissé de 90 % à la fin 1980 à environ 50 % depuis 2019 (50,1 % en 2021)1.

La montée en charge de la fiscalisation n’a cependant pas été pensée comme relevant d’une approche « beveridgienne » à visée universaliste et financée essentiellement par l’impôt, mais comme la compensation des baisses du « coût du travail » sous forme d’allègements de cotisations sociales. Ceux-ci sont en principe compensés par le budget de l’État depuis 2011, même si l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires (1,8 Md€ en 2021) décidée par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019, n’est pas compensée. Récemment, la Sécurité sociale s’est étendue au risque de dépendance. Au fil du temps, les circuits de financement sont devenus complexes, instables et parfois même, opaques. Ils ont perdu en cohérence. Pour la Cour des comptes, «  la structure des recettes des branches de sécurité sociale n’est pleinement cohérente avec ces principes (NDR : assurance sociale financée par les cotisations bénéficiant donc aux contributeurs) que pour la branche AT-MP, de nature assurantielle et financée presqu’exclusivement par des cotisations patronales, et la branche autonomie, universelle et financée presqu’exclusivement par des impôts (CSG et contributions de solidarité autonomie à la charge des employeurs et d’une partie des pensionnés) ».

Pour les autres branches, l’affaire est plus complexe. Avec la couverture maladie universelle de base (CMU-B) en 1999 et celle de la protection universelle maladie (Puma) en 2016, la branche maladie vise à l’universalité de la prise en charge des frais de santé. Seules les prestations en espèces (indemnités journalières maladie et maternité, pensions d’invalidité) obéissent à une logique contributive justifiant une cotisation sociale en bonne et due forme. La Cour des comptes rappelle néanmoins que « le financement des soins par l’assurance maladie procure des externalités positives aux entreprises, en concourant à la santé des actifs. Suivant ce critère d’appréciation, la part du financement de la branche maladie par cotisations peut être considérée comme proportionnée aux avantages que les entreprises retirent des remboursements de frais de santé  ». Pour autant, il serait logique que l’ensemble des revenus contribuent au financement de la couverture maladie : sans cela, une personne ne percevant que des revenus du capital (revenus fonciers revenus financiers) bénéficierait de la couverture sociale sans pour autant participer à son financement.
On peut formuler le même raisonnement pour la branche famille, qui verse pour sa part des prestations non contributives. Il est vrai comme le rappelle la Cour des comptes que « certaines prestations, qui favorisent la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et soutiennent ainsi le taux d’activité des femmes, procurent certes des avantages aux entreprises  ».

Les prestations de la branche vieillesse sont très logiquement essentiellement contributives. Or, comme le précise le rapport de la Cour, les cotisations ne financent plus que 54,8 % pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et 64,9 % pour le régime général. Cette branche est en effet financée pour partie par des impôts et des taxes et par la contribution de l’État employeur au régime de retraite des fonctionnaires, les subventions d’équilibre de l’État aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF, de la RATP, des mines et des marins (5 milliards d’euros au total pour 2023) et des transferts provenant de la branche famille et du FSV pour financer les droits et de prestations de retraite à caractère non contributif.

En matière de financement, la Cour des comptes estime donc que les circuits de financement sont peu lisibles et instables. Les transferts sont parfois opaques pour le financement des droits non contributifs de retraite et les affectations d’impôts sont mouvantes. De manière générale, elle déplore «  un manque de lisibilité des conséquences des rééquilibrages de financement sur les soldes des branches ». En conséquence, elle formule les préconisations suivantes : «  Améliorer la lisibilité et le pilotage des comptes sociaux, Clarifier et simplifier les circuits de financement, Réexaminer les affectations d’impôts à la sécurité sociale en fonction de leurs finalités, Rationaliser les transferts internes à la sécurité sociale, Accorder les conditions du financement des branches au degré d’universalisation de leurs prestations  ».

2/ Quelle organisation possible et souhaitable du financement ?

L’objectif n’est pas de reprendre ici toutes les propositions émises sur le sujet (hausse ou modulation des cotisations sociales en fonction d’objectifs sociaux par exemple, taxation des riches, etc), ni de recenser toutes les mesures permettant d’améliorer le financement de la Sécurité sociale (hausse des salaires, égalité femmes/hommes, baisse du chômage, etc). Il s’agit de présenter une grille de lecture globale :

  1. Architecture du financement : quels grands axes ?
  2. Ménages : le « cas » de la CSG
  3. Le cas des entreprises

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