Pour une taxation unitaire
Dans le droit actuel, une multinationale est une constellation de filiales localisées dans des pays différents, où chaque entité est juridiquement indépendante et autonome au niveau comptable, et paye des impôts différents, selon ses bénéfices ou ses pertes.
Ce choix, car c’est un choix et non une nécessité, a un objectif et une condition d’existence.
Son objectif, sa raison d’être, est de permettre la forme la plus importante d’évasion fiscale :
Créer des filiales dans les paradis fiscaux permet notamment de détourner artificiellement les profits du groupe multinational par le jeu des « prix de transfert », des transactions passées entre les entités d’un même groupe. Concrètement, les prix de transfert consistent par exemple à faire facturer par une filiale établie dans un paradis fiscal des prix (pour vente de biens ou de service) à une entité du groupe établie dans un pays comme la France. Cette dernière déduit le prix (parfois excessif, voire ne correspondant à aucune transaction réelle !) payé à la filiale du bénéfice imposable en France et, inversement, la filiale le déclare là où elle est implantée, souvent un paradis fiscal où il n’y a pas d’impôt à payer !
Sa condition d’existence, c’est la liberté de circulation des capitaux.
La liberté de circulation des capitaux est précisément ce droit, acté en 1986 dans l’« Acte unique européen », qu’a une entreprise de domicilier dans le pays de son choix les capitaux qu’elle détient. C’est ce qui rend légal de domicilier les bénéfices là où ils sont peu imposés, et les pertes là où les impôts sont plus forts. La liberté de circulation des capitaux est une condition nécessaire de l’évasion fiscale.
Or plutôt que de considérer les diverses filiales et entités d’un même groupe comme des entités indépendantes, on pourrait, au contraire, considérer une multinationale comme une entité unique réalisant un certain bénéfice au niveau mondial et imposer ses activités par un mécanisme de taxation unitaire.
Le principe de la taxation unitaire est donc le suivant :
- La taxation unitaire considère l’ensemble des parties de la multinationale comme une entité unique qui réalise un certain bénéfice au niveau mondial. Cela rend inopérante la création de filiales dans les Paradis fiscaux, pour y détourner artificiellement les profits du groupe multinational via les manipulations des prix de transfert.
- Le bénéfice mondial est ensuite réparti entre les pays où la multinationale réalise son activité. Cette répartition est basée sur trois facteurs : le travail, les actifs immobilisés, les ventes.
- Dans chaque pays, la multinationale est taxée sur la part de bénéfice mondial affectée au pays, au taux prévu par sa loi nationale. Cette méthode respecte donc la souveraineté fiscale des États. Ce point est très important, puisque la France pourrait appliquer la taxation unitaire sans attendre une harmonisation mondiale, c’est-à-dire calculer pour l’imposer la partie du bénéfice mondial réalisée sur son sol. Cela permettrait de taxer au même taux effectif les bénéfices d’une multinationale et ceux d’une PME, mettant ainsi fin à une trop longue injustice. A noter que la taxation unitaire a déjà été appliquée dans des États fédéraux, tels que les États-Unis.
Une condition préalable : le « reporting pays-par-pays » [1]
La répartition du bénéfice mondial nécessite de connaître, pour un pays donné, un certain nombre d’informations : le nombre d’employés, leur masse salariale, le chiffre d’affaires, les impôts etc.
Le reporting pays par pays consiste pour les multinationales à rendre publiques les informations sur leurs activités réelles dans chaque pays (notamment le chiffre d’affaires, le nombre d’employé.es, la masse salariale, ou les impôts et taxes acquittées).
Or, il est actuellement impossible de connaître avec exactitude les données nécessaires pour établir la part du bénéfice mondial qui sera la « base taxable ». En effet, parce qu’elles y ont intérêt, entre autres pour payer le moins possible d’impôts, les multinationales ne favorisent pas la transparence de leurs activités ni de leurs mouvements de capitaux.
Ces informations basiques sont parfaitement connues des multinationales, mais ne sont actuellement, à dessein, que très incomplètement disponibles et les multinationales n’ont aucune obligation à les rendre publiques. Seules les plus grandes multinationales sont tenues de déclarer leurs activités pays par pays aux administrations fiscales. Cette obligation ne concerne cependant pas toutes les entreprises transnationales. De plus, ce "reporting" ’n’est pas public. Son extension à toutes les multinationales et sa publicité ne pose pas problème technique, mais relève d’un choix politique.
IS en France En Millions
<tabcsv|separateur=,|contenu= SOCIETES,Taxation actuelle,Taxe unitaire basée sur le CA français déclaré,Taxe unitaire basée sur un montant de CA estimé par Attac Apple,19,196,419 Amazon,13,13,22 Google,14,57,148 Facebook,2,20,37 Microsoft,29,95,192 Total,31,915, BNP Paribas,493, ,1174 Bayer- Monsanto,102,177,177>
Concernant les calculs basés sur le CA déclaré, ils n’ont nécessité aucun retraitement. Cette forme de taxation pourrait donc être mise en place immédiatement, et sans complication pour les services fiscaux. Néanmoins, l’efficacité de cet impôt ne serait pas optimale. Par exemple, le chiffre d’affaires d’Apple déclaré en France représente seulement 0,4 % du CA mondial, puisque la grande majorité des ventes d’Apple en France se fait à travers sa filiale irlandaise.
[2]
Le montant d’impôts dû par Amazon selon la méthode de la taxation unitaire avec un reporting pays-par-pays serait de plus de 70% supérieur à ce qu’il était en 2017 en France. Pour les autres multinationales étudiées ici, l’IS réglé serait de 2 fois à 22 fois supérieur. Ces chiffres sont le fruit d’estimations et de calculs dont les détails sont disponibles ici : lien de l’annexe
Foire aux questions :
Le poids des facteurs travail, capital, ventes dépend-il du pays ? Est-ce les pays eux-mêmes qui les choisissent ?
Chaque pays conserve sa souveraineté fiscale et choisit donc sa pondération. Néanmoins, il est certain qu’une harmonisation mondiale serait souhaitable.
Comment éviter une concurrence fiscale liée à la détermination des poids de la répartition des facteurs ?
La taxation unitaire n’est pas la panacée. C’est une réponse technique à des méthodes d’évasion fiscale courantes. Ainsi, elle n’empêche pas les États de se mener une concurrence fiscale, que ce soit dans le taux ou dans la pondération des facteurs. Néanmoins, elle limite fortement l’intérêt de localiser les centres de profits dans un pays ou dans un autre.
Comment faire face aux difficultés d’évaluation du bénéfice mondial, notamment avec les crédits d’impôts ou d’autres exemptions fiscales ?
La proposition la plus courante est de ne pas partir du résultat avant impôts, mais d’utiliser un indicateur qui varie très peu d’un système comptable à un autre appelé EBITDA, qui ne tient pas compte des charges calculées (notamment les provisions et les amortissements) et qui laisse peu de marge pour les manipulations.
Comment est-ce possible de calculer les recettes dans le pays où le client paye, alors que les recettes sont comptabilisées dans le pays où l’entreprise vend ?
Il est nécessaire de faire évoluer la définition qu’on donne à la notion d’« établissement stable », c’est-à-dire la présence effective dans un pays, et considérer l’utilisation d’un site internet en langue locale, ou un réseau de distribution (comme c’est le cas pour Amazon par exemple). Le plus simple serait toutefois une collaboration renforcée entre États.