Inégalités, pauvreté, injustices fiscales : vers de tristes records...
Le gouvernement a beau prétendre que l’ensemble de la population a bénéficié d’une hausse du pouvoir d’achat et que les inégalités baissent, les données montrent une réalité tout à fait différente.
L’Observatoire de la justice fiscale l’a montré dans ses publications consacrées au « bilan redistributif » du quinquennat, tout comme l’Institut des politiques publiques (dont les conclusions ont été reprises dans notre note du 6 janvier « Macron : Dépôt de bilan fiscal ») : en réalité, les plus pauvres ont vu leur revenu disponible baisser quand celui du fameux 1 % des personnes les plus riches a fortement augmenté. En matière de réduction des inégalités, les indicateurs sont en effet tous passés au rouge.
Nous revenons ici sur les tendances à l’œuvre en matière de pauvreté et de concentration des richesses avant de remettre cette question en perspective.
Un taux de pauvreté record déjà avant la crise...
Le taux de pauvreté (une personne est considérée comme pauvre lorsque son revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) a atteint un niveau record en 2018 (14,8 %) et est resté élevé en 2019 (14,6%). Si l’on excepte l’année 1996, un tel niveau n’a pas été atteint depuis les années 1970… Un triste record. Le discours consistant à dire que le taux de pauvreté doit être relativisé puisqu’il serait en quelque sorte tiré par le haut en raison, précisément, de la hausse globale du pouvoir d’achat, ne tient guère la route. Car la hausse du taux de pauvreté signifie tout simplement que pour partie importante de la population, le revenu augmente moins vite que pour une autre partie, ou n’augmente pas, voire même qu’il diminue. Et avant la crise, ce taux a bel et bien atteint un record…
Pire, l’intensité de la pauvreté, qui mesure au sein des personnes considérées comme pauvres la part de celles qui s’éloignent du seuil de pauvreté, se situe à l’un des niveaux les plus élevés de ces 25 dernières années. En 2019, près d’un « pauvre » sur 5 voit s’accroître l’écart entre son revenu et le seuil de 60 % du revenu médian. Et plus globalement, le sentiment de pauvreté se développe, avec 19 % des Français qui se percevaient comme pauvres en 2019 contre 13 % en 2017… Les récentes mesures ponctuelles du type « indemnité inflation » ne changeront durablement rien à cette situation.
Toujours plus pour les riches, une réalité statistique...
À l’autre extrémité de la répartition des revenus en revanche, la situation est inverse. Deux facteurs nourrissent la dynamique inégalitaire : les mesures fiscales d’Emmanuel Macron et le dynamisme des marchés financiers.
• Les 3 rapports d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie montrent deux évolutions : la hausse de la distribution de dividendes en 2018 et 2019 et sa forte concentration sur les plus riches. L’organisme, rattaché à Matignon, rappelle ainsi que, « Les foyers dont les dividendes ont augmenté de plus de 100.000 euros entre 2017 et 2018 ou entre 2018 et 2019 totalisent 9 milliards d’euros de dividendes supplémentaires en 2018 et 2019 par rapport à 2017, soit 100 % de la hausse nette constatée depuis 2017. (...). 3 900 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 76 % des plus-values de droit commun en 2019, contre 62 % en 2017. » Concrètement, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF en 2017, le gain cumulé de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique et de la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière est de 1,7 million d’euros en moyenne.
• L’année 2021 s’annonce comme une année record sur les marchés financiers. Le CAC 40 a augmenté de près de 30 % là où de nombreux secteurs d’activités et salarié.es éprouvent de grandes difficultés. LVMH, Hermès, L’Oréal et Kering comptent pour la moitié de ses gains… La même tendance se constate dans le monde : le Nasdaq a progressé de 27 %. Manifestement, les marchés financiers sont immunisés contre la crise…
En France comme dans le monde, la tendance est inquiétante. Selon le rapport d’Oxfam « Les inégalités tuent » de janvier 2022, la fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. Depuis 1995, les 1 % les plus fortuné·es ont accaparé près de 20 fois plus de richesses mondiales que les 50 % les plus pauvres de l’humanité. Depuis la pandémie, 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté. En France, avec 236 milliards d’euros supplémentaires engrangés en 19 mois, les milliardaires français se portent bien. : les 5 premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie et possèdent autant que les 40% les plus pauvres en France.
L’enquête « Revenus et patrimoines des ménages 2021 » de l’Insee ne dit pas autre chose : entre 1998 et 2018, le patrimoine moyen (déjà peu élevé) des 10 % des personnes les moins dotées a perdu 48 % de sa valeur tandis que celui des 10 % les mieux dotés a progressé de 119 %, sous l’impulsion majeure des marchés financiers. En France, selon les estimations, les 10 % des ménages les plus riches détiennent entre 50 et près de 60 % du patrimoine total des ménages. Un niveau record là aussi...
Parlons réduction des inégalités !
Tout ceci annonce de bien mauvaises nouvelles sur le front des inégalités de toutes sortes. Pour des raisons tout à la fois sociales, économiques et écologiques, la réduction des inégalités devrait être l’un des principaux thèmes du débat public dans la perspective des élections électorales. Tel n’est pourtant pas le cas. Aveugles et sourds aux enjeux de la période, plusieurs candidats rivalisent même d’imagination pour proposer des mesures fiscales permettant de transmettre davantage de patrimoine sans payer d’impôt, alors qu’en la matière, les inégalités sont très importantes et se creusent. Tout cela, en prônant une austérité budgétaire voire des privatisations, ce qui pénaliserait en premier lieu les pauvres et les classes moyennes. Une véritable folie anti-sociale, anti-écologique et anti-économique…
À rebours de ces orientations, une réforme fiscale s’impose. Actuellement, la faible progressivité du système fiscal ne permet pas de réduire efficacement les inégalités. Ce sont principalement les services publics et la protection sociale qui le permettent (sans cela, le taux de pauvreté dépasserait 22%). L’objectif doit être de renforcer la progressivité et le caractère redistributif du système fiscal, ce qui permettrait d’agir utilement contre les inégalités et pour le financement de l’action publique.
Les principaux axes d’une telle réforme seraient les suivants :
• réhabiliter le rôle de l’impôt et des contributions communes,
• renforcer les impôts directs (impôt progressif sur le revenu, impôt sur les sociétés…) et baisse concomitante de la part des impôts indirects,
• procéder à une revue des niches fiscales (dont le coût s’élève à 90 milliards d’euros) pour en élargir les assiettes,
• réformer les droits de donation et de succession pour mettre davantage à contribution les patrimoines les plus importants,
• instaurer un impôt de solidarité sur la fortune rénové, à l’assiette plus large,
• rénover l’assiette des impôts locaux en les préservant, qu’il s’agisse des impôts locaux des particuliers ou de ceux des entreprises,
• procéder à une revue des « niches sociales » dont l’efficacité est contestée mais dont le coût atteint un niveau record d’environ 100 milliards d’euros,
• instaurer une fiscalité écologique redistributive qui passerait également par la suppression des exonérations et « niches » anti-écologiques qui bénéficient aux activités polluantes,
• renforcer la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, en France (avec un renforcement des moyens juridiques, matériels et humains) et au-delà, avec une véritable coopération internationale et l’instauration d’un cadastre financier,
• instaurer une véritable taxation des transactions financières au sein de l’Union européenne en veillant à ce qu’elle s’applique au trading à haute fréquence,
• une harmonisation de la TVA au sein de l’Union européenne pour en finir avec la fraude dite « carrousel »,
• instaurer une taxation unitaire au sein de l’Union européenne dans un premier temps, afin que les multinationales paient leur juste part d’impôt…