L’impôt, les recettes sociales et le vivre ensemble Gagner plus et vivre mieux sans impôt ?

, par Équipe de l’Observatoire

Dans son discours du 13 avril présentant la campagne déclarative des revenus, le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé vouloir lancer une opération intitulée « En voir pour ses impôts » et le lancement d’une plateforme « A quoi servent mes impôts ». Dans ce même discours, le ministre a également vanté une politique fiscale de plus en plus contestée en raison des injustices qu’elle provoque, mais n’a pas hésité à parler de juste contribution aux charges publiques, dans un numéro d’équilibriste et de grand écart qu’on ne peut que relever et qui laisse songeur.

Mais, puisque l’on parle du rôle de l’impôt, l’association Attac qui s’exprime de longue date sur cet enjeu fondamental dit chiche ! Parlons simple. Dans cette courte contribution, nous commencerons par raisonner par l’absurde pour définir les enjeux en matière de justice fiscale.

Sans impôt, pas de services publics 

Éducation, santé, état civil, lutte contre les fraudes économiques, etc ; les impôts financent les services publics et, plus largement, l’action publique. Si ceux-ci voient leur qualité affaiblie par des années de baisse de leurs moyens, ils n’en demeurent pas moins indispensables à la vie en société. Certes, pour les ménages, ne pas payer d’impôt se traduirait par un revenu disponible supérieur à ce qu’il est actuellement. En d’autres termes, ce qui est payé aujourd’hui sous forme d’impôt serait en quelque sorte « économisé » et viendrait augmenter ce revenu. Celui-ci serait cependant aussitôt dépensé pour financer ce que les services publics offrent, tout au long d’une vie.

Tous les services publics devenus privés devraient être payés par les ménages à chaque fois qu’ils les utilisent. Un séjour à l’hôpital serait facturé entre 1.317 euros par jour sans chirurgie et plus de 3.000 euros dans des services spécialisés ou en soins intensifs. Les malades devraient s’en acquitter, sauf à pouvoir se payer une assurance santé coûteuse. Quant à la sécurité, les quartiers riches se paieraient une sécurité privée tandis que les quartiers pauvres seraient livrés à eux-mêmes. On peut décliner les exemples à l’envi.

Sans impôt et sans recettes sociales, plus de protection sociale

De la même manière, sans fiscalité et sans recettes sociales, il n’y aurait plus de système collectif de protection sociale ni de redistribution (celle-ci représentant un tiers du revenu moyen des ménages [1]). Les dépenses de santé ne seraient plus du tout remboursées, les prestations sociales (allocations familiales, assurance chômage, pensions de retraites, etc) ne seraient plus versées et il n’y aurait plus aucun minima social. Seuls les ménages ayant les moyens de cotiser à ses systèmes de santé et d’assurance privés pourraient bénéficier d’une prise en charge de leur santé, bénéficier d’une pension de retraite financée par les fonds de pension, etc. À titre d’exemple, le taux de prélèvements obligatoires était de 26,6 % aux États-Unis en 2021 contre 44,3 % en France, mais les dépenses sociales privées représentaient 3,1% du PIB en France et 12,8 % aux États-Unis.

Sans impôt, encore plus d’inégalités, de précarité et de pauvreté

Le système fiscal et de prélèvements, les services publics et la redistribution opérée par la protection sociale réduisent considérablement les inégalités et le taux de pauvreté. Sans cela, le taux de pauvreté de 14,6 % en 2019, aurait atteint 22,2 % [2]. Pour une majorité de la population appartenant notamment aux classes pauvres et moyennes, la perte de pouvoir d’achat et la dégradation des conditions de vie serait notable puisqu’ils ne pourraient bénéficier de ce que leur apportent actuellement les services publics et la protection sociale. En revanche, les plus riches auraient les moyens de financer l’intégralité de leurs besoins. Ils pourraient également dégager d’importants revenus et transmettre leur patrimoine sans verser un sou. Les inégalités de revenus, de patrimoines, de genre et de vie exploseraient.

Sans impôt, pas de transition écologique

La transition écologique nécessite un financement et des politiques publiques. Sans impôt, elle ne dépendrait que du bon vouloir des acteurs économiques, y compris des entreprises et des ménages les plus polluants. L’autorégulation n’ayant jamais fait ses preuves, la transition écologique et énergétique ne pourrait donc pas être garantie, alors qu’elle est pourtant indispensable pour faire face au réchauffement climatique et aux multiples conséquences que celui-ci aura sur les conditions de vie et l’environnement.

Sans impôts, pas de société, et sans impôts justes, pas de société juste ni de démocratie

S’il n’y a pas de société sans impôt, il ne peut y avoir de société juste ni de véritable système démocratique sans impôt juste. C’est bien là le problème de la période, marquée par de profondes injustices fiscales. Certes, pour instructif que puisse être un raisonnement par l’absurde, personne n’envisage sérieusement de supprimer les impôts. Se pose alors une question centrale : la politique fiscale permet-elle de financer correctement l’action publique, de réduire les inégalités, de prendre en charge les besoins sociaux et climatiques et de renforcer le consentement à l’impôt, pilier d’une vie en démocratie ? À l’évidence, non.

Expliquer le rôle de l’impôt est une chose, nécessaire. Mener une politique fiscale juste et efficace au regard des enjeux en est manifestement une autre. Pour faire face aux enjeux, et refaire société, une autre politique fiscale est indispensable. Il faut notamment revenir sur les choix fiscaux de ces dernières années.

Dans ses principales orientations, elle consisterait à :
• renforcer la progressivité de l’ensemble du système fiscal, ce qui permettrait de dégager des recettes publiques et de réduire les inégalités et imposer les multinationales grâce à une taxation unitaire,
• procéder à une revue des niches, fiscales et sociales, dont le coût exorbitant (environ 200 milliards d’euros) a nourri les profits et les superprofits avec un effet marginal sur l’emploi et l’investissement et de nombreux effets pervers (défiscalisation à outrance et trappes à bas salaires par exemple),
• renforcer l’ensemble des moyens en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, qui plombent les recettes publiques, faussent l’activité économique, empêchent de financer les besoins sociaux et écologiques et nuisent au consentement à l’impôt,

En retour, il s’agit bien de renforcer les services publics et la protection sociale dans toutes ses dimensions mais aussi d’être en capacité d’opérer une bifurcation sociale et écologique telle qu’Attac la préconise [3] et de mener une politique budgétaire orientée vers des objectifs sociaux et écologiques, pouvant s’accompagner d’un véritable soutien à l’emploi et à l’investissement dirigé vers ces objectifs.

* Données tirées du site de l’OCDE.