Le crédit d’impôt recherche : aide efficace ou niche fiscale ?
Le crédit d’impôt recherche [1] (CIR) n’en finit pas d’alimenter le débat sur son rapport « coût/efficacité ». Dans une étude récente, France Stratégie en dresse un bilan pour le moins nuancé [2]. Selon l’étude, la montée en puissance du CIR (voir une présentation du mécanisme en annexe) a conduit les entreprises françaises à certes augmenter leurs dépenses en R&D depuis 2008 mais avec des retombées en termes d’innovation et de compétitivité en demi-teinte, voire décevantes, alors que le coût de la mesure a presque triplé entre 2007 et 2015. Sachant de plus que les grandes entreprises concentrent l’essentiel de cette « dépense fiscale ». Si l’étude se veut tout de même positive en mettant en exergue la hausse des dépenses de R&D, il n’en reste pas moins que les effets sur l’innovation sont décevants, avec seulement 5% de probabilité supplémentaire de déposer un brevet pour entreprises bénéficiaires.
Dans son rapport, France Stratégie livre donc une contribution intéressante qui confirme les doutes et es conclusions de plusieurs travaux, comme ceux de la Cour des comptes [3] par exemple. Depuis sa réforme en 2008, l’efficacité globale du CIR n’a jamais été démontrée, elle est même systématiquement discutée…Bien que sanctuarisé par les gouvernements successifs, le CIR nourrit donc le débat.
Cette note dresse un rapide bilan du CIR et de son contrôle avant d’analyser sa nature profonde qui, de fait, s’apparente trop souvent à une « niche » et de livrer en conclusion des propositions alternatives.
Depuis 2008, une explosion du coût du CIR
Le CIR a été simplifié et dynamisé par sa réforme de 2008 : si, auparavant, seules les dépenses supplémentaires engagées par les entreprises ouvraient droit à un crédit d’impôt (il s’agissait alors d’inciter à accroître l’effort en matière de R & D), c’est désormais le volume des dépenses qui est pris en compte (pour un crédit de 30 % jusqu’à 100 millions d’euros par an et de 30%, et de 5% au-delà de ce seuil). En matière de soutien à la recherche et à l’innovation, les gouvernements successifs ont très clairement fait le choix de la dépense fiscale sur les aides directes : le CIR représente 60 à 65 % des aides totales, la France se situant au second rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en matière d’aide fiscale, mais au 7ème pour les aides directes. Le montant de la dépense fiscale au titre du CIR est estimé à 6,3 milliards d’euros (PLF 2021). Avec 14,1 % de la totalité des dépenses fiscales, le CIR est la première dépense fiscale du budget de l’État depuis la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en allègement de cotisation sociale.
Selon l’OCDE, la France est le pays le plus généreux pour les aides fiscales à la R & D. Ces résultats tendent certes à défendre l’efficacité "primaire" du CIR. France Stratégie relève que la part de la dépense privée en R&D dans le PIB est passée de 1,27% à 1,43% entre 2007 et 2015, soit une hausse équivalente à celle du CIR sur la période (+0,16 point). En d’autres termes, passer par un crédit d’impôt permettrait de stimuler la dépense privée autant que d’investir directement de l’argent public en direction des entreprises. Le CIR est devenu le principal instrument de soutien public à la R & D des entreprises. Il représente plus de 60 % de l’ensemble des aides publiques à l’innovation. En 2018, 26 358 entreprises ont déclaré des dépenses au titre du CIR, soit près de 2,7 fois leur nombre de 2007 (9 886 déclarants, un an avant la réforme de 2008) et plus de cinq fois leur nombre de 2003 (5 833). Ce dispositif a généré une créance fiscale de 6,8 milliards d’euros en 2018, soit 3,8 fois plus qu’avant la réforme (1,8 milliard en 2007). Si « les PME représentent 91 % du nombre de bénéficiaires du CIR » [4], les cinquante grandes entreprises concentrent près de la moitié de la créance totale.
Les données montrent que le top 1 % des entreprises qui ont les créances les plus élevées représente à lui seul 48 % de la créance totale du CIR au début de la période 2008-2012 et connaît même une augmentation de 7 points de pourcentage, passant 55 % en 2016. Cette évolution se traduit par une baisse équivalente des groupes situés entre la médiane et le 99e centile, tandis que la part des petites créances (en dessous de la médiane) reste stable au cours de la période. Ce constat est corroboré par une analyse plus approfondie qui tient compte du poids des entreprises selon leur taille d’effectif salarié dans la valeur ajoutée
Alors qu’on pouvait craindre que les entreprises bénéficient du CIR sur les dépenses qu’elles auraient de toute façon engagées, sans les accroître, les données de France Stratégie montrent que les entreprises ont augmenté leurs dépenses de R&D. L’effet multiplicateur aurait donc joué : pour chaque euro d’argent public versé par le CIR, les entreprises auraient dépensé entre 0,9 et 1,5 euro supplémentaire en R&D. France Stratégie conclut à un effet « au moins additionnel » du CIR. Ces résultats tendent certes à défendre l’efficacité "primaire" du CIR. France Stratégie relève que la part de la dépense privée en R&D dans le PIB est passée de 1,27% à 1,43% entre 2007 et 2015, soit une hausse équivalente à celle du CIR sur la période (+0,16 point). En d’autres termes, passer par un crédit d’impôt permettrait de stimuler la dépense privée autant que d’investir directement de l’argent public. C’est le point que France Stratégie considère comme positif… Mais qui se veut prudent et doit être remis en perspective avec les risques de détournement du CIR.
La recherche publique sacrifiée
Le manque d’ambition et de moyens alloués à la recherche publique a été souvent évoqué depuis la crise sanitaire. Il est toutefois ancien et largement diagnostiqué. Dans un rapport de 2019 [5], le comité national de la recherche scientifique dressait ainsi un constat sans appel de l’état de la recherche publique en France. Le comité rappelle avant tout l’importance stratégique d’un soutien public à la recherche fondamentale et la nécessité de ne pas l’assujettir à des objectifs court-termistes.
Le rapport du comité déplore « le niveau insuffisant du financement public de la recherche publique et la dégradation tendancielle de cette situation. La dépendance qui en résulte vis-à-vis de sources de financement externes est préjudiciable à l’autonomie de la démarche scientifique ». Il souligne également que « les modalités insatisfaisantes d’allocation et de répartition des crédits publics de recherche ; les effectifs trop faibles d’emplois scientifiques (chercheur·se·s, enseignant·e·s-chercheur·se·s, ingénieur·e·set technicien·ne·s) dans les universités et les organismes de recherche ; et la dégradation tendancielle de cette situation ». Rappelant « la dégradation importante des conditions de travail » ainsi que « les rémunérations trop faibles des personnels scientifiques », le rapport conclu : « Rien ne saurait justifier cet étiolement manifeste, désormais installé dans la durée, de notre capacité nationale de recherche ».
La situation ne devrait pas s’améliorer. La loi de finance pour 2021 a ainsi supprimé une mesure d’incitation à la sous-traitance publique des activités de R&D privée (le « doublement de l’assiette » du CIR) permettant à un donneur d’ordre privé qui externalise une activité de R&D à une entité publique de recherche, de déclarer à l’administration fiscale le double des dépenses facturées par l’entité. Cette règle pouvait inciter des entreprises à se tourner vers le secteur public. Selon l’OFCE [6], « on peut légitimement se demander si ces petites économies sur le CIR, aussi appréciables soient-elles à court terme, ne risquent pas de ralentir les coopérations porteuses d’externalités positives du public vers le privé et contribuer à asphyxier la recherche publique par manque de financements à plus long terme ». Cette règle a certes pu être optimisée pour augmenter le montant du crédit d’impôt et n’a jamais montré une réelle efficacité, mais le signal est négatif pour la recherche publique.
L’effort public est clairement insuffisant. Selon la Cour des comptes [7], l’effort budgétaire « est moindre, dans l’absolu comme relativement, que celui consenti par d’autres pays européens aux moyens et au tissu scientifique comparables ». Selon la Cour, la crise sanitaire a montré que « il a manqué une stratégie de recherche ». La Cour préconise « un investissement plus régulier dans certains domaines de la recherche fondamentale et de la recherche clinique hospitalière s’avère nécessaire ». Car pour elle, « efforts financiers exceptionnels » engagés pour faire face à la crise sanitaire « ne sauraient compenser le déficit de financement antérieur à la crise (...). Les réussites et les échecs de la recherche s’inscrivent dans la durée. »
Le constat de la faiblesse des moyens de la recherche publique avait déjà été dressé dans une note de la DG Trésor [8] qui notait que la dépense de recherche publique « atteint 0,86 %du PIB : une valeur supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE (0,74 %), mais qui reste inférieure à celle des pays leaders (pays nordiques, Corée et Allemagne) et en dessous de l’objectif de 1 % fixé par le traité de Lisbonne (…). Avec 3,8 chercheurs pour1000 actifs en 2014, elle est légèrement en-dessous de l’UE15 et comparable à l’Allemagne ». La DG Trésor déplore « la faiblesse relative de la rémunération des chercheurs statutaires français par rapport aux autres pays, confirmée par plusieurs exercices de comparaison ». Pourtant, les chercheurs français permettent à la France de se situer au 3ème rang des pays européens en matière de publications scientifiques. Avec une qualité des publications qui « a progressé dans la dernière décennie ». Mais sans véritable reconnaissance et sans moyens suffisants...
Le CIR, une baisse de l’impôt sur les sociétés
Pour les entreprises qui en bénéficient, le CIR est un puissant outil pour baisser le taux d’impôt sur les sociétés (IS). Selon France Stratégie, « Cette réduction atteint 8 points l’année du recours au CIR et tend ensuite vers 15 points les années suivantes pour les entreprises les moins imposées (IS rapporté à l’EBE [9] autour de 15 %) et passe de même de 5 à 10 points pour les entreprises plus imposées (IS rapporté à l’EBE autour de 27 %) ». Le rapport précise même que, « Pour le groupe d’entreprises composant les cohortes 2008-2016, c’est-à-dire les entreprises ayant eu recours pour la première fois au CIR après la réforme du CIR de 2008, la baisse du taux implicite d’imposition8 est estimée à 20 points de pourcentage. Au total, la baisse du taux implicite d’imposition [10], de l’ordre de 13 points de pourcentage sous l’effet de la réforme de 2008, s’ajoute donc à la réduction de 8 points obtenue au moment du premier recours ». L’impact de la réforme de 2008 évoqué ci-dessus au plan budgétaire est donc ici visible au plan « micro ».
Pour impressionnante qu’elle puisse paraître, cette baisse du taux d’IS permise par le bénéfice du CIR n’est malheureusement guère étonnante : le CIR représente un coût d’environ 10 % du rendement brut de l’IS. Ramené à ses bénéficiaires, il procure dont une baisse substantielle de leur IS.
Des risques de fraude connus...
Dans son rapport, France Stratégie note que la part de la dépense privée en R&D dans le PIB est passée de 1,27 % en 2007 à 1,43 % en 2015, soit une hausse équivalente à celle du CIR sur la période (+0,16 point). Le rapport sous-entend qu’un crédit d’impôt aurait le même impact qu’une aide directe [11] mais que cette augmentation serait en partie artificielle, notamment en raison du détournement du CIR et de la fraude. En particulier, les grandes entreprises auraient tendance à surévaluer leurs dépenses de R&D pour bénéficier du CIR sans que leurs dépenses réelles d’investissements n’augmentent, comme le dénonçait la Cour des comptes dans un rapport retentissant de 2013 [12]. La question est sensible car la France est largement en dessous de l’objectif fixé par l’Union européenne aux États membres de consacrer 3% de son PIB à la recherche et à l’innovation.
Les alertes sur le risque de fraude au CIR ne datent pas d’hier. Elles procèdent tout à la fois des règles qui le régissent, très permissives, et du peu de contrôles. Le contrôle fiscal est la contrepartie du système déclaratif. Il vise à détecter la fraude, mener des contrôles et, le cas échéant, à procéder au rappel de l’impôt éludé en appliquant des pénalités. Le montant de celles-ci s’accroît en fonction de la gravité de la fraude. Pour les cas les plus graves, des poursuites pénales sont possibles. En la matière, la demande ou l’attribution d’un crédit d’impôt recherche (CIR) ne constitue pas en soi un motif de contrôle. L’administration est cependant tenue de s’assurer que les conditions d’attribution du CIR sont conformes à la loi.
Le contrôle du CIR est difficile à mener pour les services de contrôle fiscal. Pour analyser le fond d’un projet permettant de bénéficier du CIR, il faut disposer de solides compétences scientifiques. Les agents en charge du contrôle fiscal peuvent donc faire appel aux agents du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) ou du délégué régional à la recherche et à la technologie (DRRT). Lors d’un contrôle approfondi du CIR, l’administration fiscale sollicite ainsi l’avis du MESRI ou de ses services lorsque le contrôle nécessité une appréciation du caractère scientifique des travaux afin de vérifier l’éligibilité des dépenses déclarées et le calcul de l’assiette du CIR. Il faut donc que les deux administrations se coordonnent efficacement et disposent des moyens nécessaires aux opérations de contrôle. L’avis du MESRI ou du DRRT est pris en compte par les agents en charge du contrôle fiscal.
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