Mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur les différentiels de fiscalité entre entreprises : contribution d’Attac

, par Équipe de l’Observatoire

Au sein des services de contrôle de l’administration fiscale, on entend parfois dire que les multinationales choisissent leur taux d’imposition. Elles bénéficient de politiques fiscales accommodantes et organisent en effet leur chaîne de coûts de de valeur dans le but de maximiser leur profit et de minimiser leurs charges (dont les impôts, les salaires, etc) plus facilement que les PME. Leur dimension internationale leur permet de jouer des différences de législations (fiscales, comptables, sociales et environnementales) et d’exploiter les conventions fiscales bilatérales. Les PME, localisées sur le territoire national, n’ont pas cette possibilité.

La présente contribution revient sur l’évolution des impôts des entreprises, poussés à la baisse (1), les régimes dérogatoires applicables en matière d’IS principalement utilisés par les grands groupes (2) et les mécanismes d’évitement de l’impôt (3) avant de revenir sur les mesures à prendre (4).

I/ L’IS, une contribution modeste des multinationales

Un mouvement de baisse des taux nominaux de l’IS

Les grands groupes français ont bénéficié de la baisse des taux de l’impôt sur le société (IS), qui est une tendance globale : en 1980, les taux de l’IS dans le monde sont passés de 40,11 % à 23,85 % en 2020 sur 177 états. En France, le taux normal de l’IS est passé de 50 % jusqu’en 1985 à 33 1⁄3 % en 1986 puis à 25 % en 2022. Compte tenu de l’évolution des profits des grandes entreprises, il serait instructif de mesurer ex-post le coût de cette mesure, évaluée à 11 milliards d’euros dans le PLF 2018. Parler de taux ne reflète toutefois pas la réalité de l’IS puisque cela ne dit rien de l’assiette à laquelle il s’applique. Or, celle-ci peut être plus ou moins large et importante, en fonction des possibilités de déductions comptables et fiscales de divers ordres.

La baisse des taux et la réduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ne sont pas sans conséquences. Sur la période 2015-2019 en France, au sein des 10 % des entreprises déclarant les bénéfices les plus importants entre 2015 et 2019, le bénéfice taxable a augmenté de 39,65 milliards d’euros, soit de 31,62 % d’après les données de la Direction générale des finances publiques. Or, les recettes n’ont pas suivi : elles demeurent entre 2,2% et 2,3% du PIB sur cette période [1].

Des inégalités de taux effectifs entre multinationales et PME

En France, les grandes entreprises ont un taux d’imposition inférieur à celui des PME. Il existe certes un taux réduit de 15 % dont bénéficiaient 760 000 entreprises en 2018 (pour un coût de 2,16 milliards d’euros soit une économie de 2 842 euros par entreprise) sur Les 42.500 premiers euros de bénéfices. Les secteurs de la construction, du commerce, de l’immobilier et des services aux personnes sont très concernés par ce taux [2].

Selon l’Institut des politique publiques, « Sur la période 2005–2015, (…) le taux implicite moyen des grandes entreprises a augmenté, passant de 10 % à 17,8 %, quand le taux implicite moyen des PME a légèrement baissé, passant de 27,7 % à 23,7 % » [3]. Qui plus est, ce taux est calculé sur ce qui est déclaré en France, hors profits logés artificiellement dans d’autres territoires. Selon une étude de juin 2019 du CEPII, le seul évitement fiscal par voie légale des multinationales a atteint 36 milliards d’euros en 2015, soit 1,6 % du PIB. Il faudrait ajouter à ceci le coût des montages relevant de la fraude.

Les travaux portant sur l’imposition des entreprises l’ont montré :les grandes entreprises (de 5 000 salariés et plus) présentent un taux réel d’imposition inférieure aux PME et TPE. Plusieurs facteurs l’expliquent :
- Pour la DG Trésor, «  la déductibilité des intérêts d’emprunt fait baisser de 3 points le taux implicite des micro-entreprises mais de près de 14 points celui des grandes entreprises (GE) »  [4].
- L’utilisation de toutes les mesures juridiques légales : dépenses fiscales (voir ci-dessous) et possibilité offerte dans les conventions internationales.
- L’optimisation, souvent agressive, voire la fraude, à laquelle se livre les multinationales. Dans un environnement fiscal qui considère que les entités d’un même groupe sont indépendantes, les prix de transfert en particulier constituent un puissant levier pour localiser les bénéfices dans des territoires à fiscalité privilégiée voire dans des paradis fiscaux. La création de centrale d’achat, de holdings ou encore de filiale détenant les droits de propriété intellectuelle sont autant de véhicules juridiques utilisés pour siphonner les bénéfices généras par une activité localisée en France.

D’autres baisses de prélèvements des entreprises

Au-delà de l’IS, les multinationales ont également bénéficié de la baisse des impôts dits « de production » : moins de 10.000 entreprises, les plus grandes, ont capté 66 % des gains de cette baisse [5]. Elles bénéficient également des « niches sociales », des allègements généraux et ciblés de cotisations sociales, dont le coût rivalise avec celui des « niches fiscales ». La Cour des comptes estimait ainsi que le montant des « niches sociales » affectées aux régimes de base de sécurité sociale et au fonds de solidarité vieillesse est de plus de 90 milliards d’euros en 2019 [6].

II/ L’existence de mesures dérogatoires privilégiées par les grandes entreprises

Les recettes de l’IS sont grevées de nombreuses « niches fiscales » et des mesures dérogatoires qui mitent l’assiette de l’IS. De ce point de vue, les multinationales sont particulièrement gâtées. Elles sont les principales bénéficiaires du crédit d’impôt recherche (coût budgétaire : 7 milliards d’euros par an) et des régimes réservés aux groupes de sociétés : il en va ainsi de la « niche Copé » (7 milliards d’euros en 2018 pour une exonération des plus-values) et du régime mère fille (17,6 milliards d’euros en 2018 pour une exonération du versement de dividendes entre sociétés d’un même groupe)…

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Notes

[1OCDE, statistiques des recettes publiques, édition 2022.

[2DG Trésor, « Le taux réduit d’impôt sur les sociétés pour les PME », Trésor-éco n° 23, novembre 2007.

[3Rapport de l’Institut des politiques publiques n°21 intitulé, « L’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des entreprises en France : constats et facteurs explicatifs », mars 2019.

[4DG Trésor, « Le taux de taxation implicite des bénéfices en France. », trésoréco n°88, juin 2011.

[5Source : Assemblée nationale, compte rendu de la séance du 14 novembre 2020.

[6Rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, 2019.