Peut-on instaurer une véritable fiscalité écologique ?
Le changement climatique nous met devant l’urgence d’une politique publique de transition écologique efficace, juste et de long terme. D’où l’enjeu crucial de reposer les termes du débat budgétaire et fiscale en la matière. Or la fiscalité écologique actuelle est punitive, inefficace, injuste. Il est nécessaire de concevoir et mettre en place une nouvelle fiscalité écologique. D’ores et déjà existent des pistes sérieuses. C’est ce que développe la présente note.
Si la fiscalité est régulièrement l’objet de débats passionnés, c’est peu de dire que la fiscalité écologique est un sujet sensible.Considérée selon les voix qui s’expriment tour à tour comme punitive, inefficace, injuste ou encore trop lourde, elle révèle parfois les clivages idéologiques mais est trop souvent mal traitée dans le débat public. C’est notamment vrai depuis que le mouvement des Gilets jaunes a été présenté comme une jacquerie contestant la mise en œuvre de la « taxe carbone » même si, en réalité, rapidement ce mouvement dénonça plus largement les injustices fiscales et sociales. L’enjeu de la transition écologique étant considéré comme un enjeu crucial, il est essentiel de reposer les termes du débat budgétaire et fiscal en la matière.
Il importe donc de dresser un bilan de la fiscalité dite « écologique » et de tracer des alternatives pour mettre la fiscalité au service de l’environnement et de la bifurcation sociale et écologique. C’est l’objet de cette note, qui présentera la notion de « budgétisation verte » (1) pour dresser un état des lieux de la fiscalité dite « écologique » actuelle (2) avant de questionner les améliorations possibles (3).
1 - De la « budgétisation verte » à la fiscalité écologique
Toute politique fiscale s’intègre dans une politique budgétaire. Or, que les impôts soient « écologiques » ou non, tous financent un budget qui rend possible des dépenses publiques pouvant être mobilisées pour la transition écologique. Pour l’heure, c’est la notion de « budgétisation verte » qui a été impulsée par l’OCDE lors du "One Planet Summit" en 2017 (conférence internationale visant à promouvoir de nouveaux outils pour évaluer et conduire les initiatives nationales de dépenses et de recettes en phase avec les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique et appuyer le développement de "budgets verts" dans plusieurs pays pilotes). Cette notion vise officiellement à atteindre un objectif central de l’Accord de Paris. Il s’agit d’intégrer les enjeux environnementaux dans les choix budgétaires et fiscaux.
C’est dans ce cadre qu’a été publié en France le premier rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État annexé au projet de loi de finances pour 2021 [1]. La méthode retenue pour l’élaboration de ce rapport consiste à attribuer une cotation aux différentes dépenses de l’État, afin d’évaluer leur impact sur différents objectifs. Six axes de politique environnementale ont été retenus : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels, la gestion de la ressource en eau, l’économie circulaire, les déchets et la prévention des risques technologiques, la lutte contre les pollutions et la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles. Pour ce faire, le rapport recense les recettes et les dépenses ayant un impact environnemental favorable, neutre ou défavorable. Y sont analysées toutes les dépenses publiques, y compris les dépenses fiscales, autrement dit les exonérations et crédits d’impôt, c’est-à-dire les niches fiscales.
Instructif, le rapport a pointé « les approximations et les insuffisances relevées notamment dans les dépenses fiscales en faveur de l’environnement ». Pour le projet de loi de finances pour 2022, sur un total de 465,1 milliards d’euros de dépenses de l’État, 42 milliards ont un impact sur l’environnement, 53,4 en retenant, en plus des dépenses publiques « directes », les dépenses fiscales (autrement dit, les « niches fiscales »). Selon le rapport, 86 % des dépenses publiques sont considérées comme « neutres ». Les dépenses publiques favorables à l’environnement, y compris celles prévues dans le cadre du plan France relance, s’élèvent à 32,5 milliards d’euros mais 10,8 milliards d’euros sont considérées comme défavorables à l’environnement (contre 10,6 milliards d’euros en 2021). Un montant élevé et ce, de longue date. Car, si l’on intègre aux dépenses publiques les « niches fiscales », ce montant est plus élevé : dans un rapport assez critique de 2016 , la Cour des comptes estimait en effet à près de 12 milliards d’euros le montant des « niches fiscales » ayant un impact défavorable sur l’environnement.
2 - Fiscalité écologique : état des lieux
Pour Eurostat (l’office statistique de l’Union européenne) et l’OCDE, une taxe écologique (ou environnementale) est « une taxe dont l’assiette est une unité physique d’une chose qui a un impact négatif et spécifique sur l’environnement ». Pour le ministère de la transition écologique, « La fiscalité écologique comprend l’ensemble des impôts, taxes et redevances dont l’assiette est constituée par un polluant ou, plus généralement, par un produit ou un service qui détériore l’environnement [2] ». Cette définition ne porte donc que sur l’assiette de cette fiscalité alors que son objectif est précisément d’être efficace. L’écart entre l’objectif théorique et la réalité mérite donc d’être explicité.
Un principe simple : internaliser les coûts écologiques
La fiscalité écologique est présentée comme efficace pour préserver l’environnement, notamment pour réduire la pollution et les émissions de CO2. L’externalité négative que constitue la dégradation de l’environnement liée à l’activité des agents économiques a un coût qui n’est pas répercuté dans les prix. La fiscalité écologique doit donc modifier les prix relatifs pour « l’internaliser », autrement dit, selon le terme un peu barbare « internaliser les externalités négatives ». Cette approche, théorisée au début du XXe siècle par Arthur Pigou, a été précisée et discutée depuis mais son principe reste le même. Le principe « pollueur/payeur » demeure souvent invoqué à propos de la fiscalité écologique.
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voir également la fiche pédagogique le marché des quotas carbone