Quelle gouvernance des finances publiques demain ? Gouvernance budgétaire, un enjeu majeur et méconnu
La façon dont les décisions relatives aux finances publiques sont prises est un enjeu de société majeur malheureusement trop souvent absent du débat public. Pourtant, l’organisation du débat parlementaire, l’emploi de l’argent public, l’orientation donnée à l’action publique et les objectifs qui lui sont assignés ont des conséquences importantes sur la vie de chacun.e. Dans une période marquée par un débat sur l’évolution des règles budgétaires européennes, des dépenses publiques, de la dette publique ou encore des politiques fiscales, il est essentiel de s’intéresser à cette question. Et ce d’autant plus que la « gouvernance des finances publiques » va connaître des changements importants à l’avenir.
Ces changements proviennent de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la « modernisation de la gestion des finances publiques1 » qui modifie en profondeur le travail parlementaire sur les finances publiques. Elle refond et modifie la LOLF et la loi organique de 2012 sur la programmation et la gouvernance des finances publiques, avec des changements substantiels dans la gestion des finances publiques, dans leur emploi et par conséquent dans l’action publique au quotidien.
Les modifications importantes apportées par cette loi organique vont ainsi constituer le cadre dans lequel seront débattues les différentes lois de finances à partir du dépôt du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le premier « PLF » du quinquennat. L’affaire est loin d’être neutre car, si certains points méritent d’être débattus, ce cadre global a néanmoins été conçu par les tenants de la rigueur et de l’austérité budgétaires. Par ailleurs, alors que les élections législatives ont débouché sur une Assemblée nationale à la composition inédite, cette loi organique modifie et réduit certains pouvoirs des parlementaires.
La présente note vise à retracer ces évolutions et les principaux points de débats pour en livrer une première analyse. Pour ce faire, nous reviendrons sur le cadre qui a prévalu dans la période récente (A), avant d’en dresser le bilan (B) et d’analyser la portée de cette nouvelle gouvernance budgétaire (C).
A/ Retour sur le cadre actuel
Le cadre de la gouvernance budgétaire est marqué par deux grandes lois organiques structurantes : la LOLF, pensée pour promouvoir un management tourné vers la performance, et la loi organique de 2012, qui décline les objectifs budgétaires européens.
1. Architecture, objectifs et bilan de la LOLF
L’ambition affichée de la LOLF était de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats et de faire de la performance son orientation. Inspirée du modèle managérial de l’entreprise privée, la LOLF a été votée en 2001 dans un large consensus au parlement et appliquée à partir de 2006. Pour l’attribution des crédits, elle se décline en ensembles de politiques publiques, les missions, elles-mêmes subdivisées en programmes. Les missions sont le plus souvent interministérielles comme la mission « Sécurité » par exemple, subdivisée en plusieurs « programmes » (ordre public et protection de la souveraineté, sécurité et paix publiques, sécurité routière, police des étrangers et sûreté des transports internationaux, missions de police judiciaire et concours à la justice et commandement, ressources humaines et logistique).
Officiellement, la LOLF avait également pour objectif de revaloriser le rôle du Parlement. Les parlementaires peuvent en effet proposer des modifications à la répartition des autorisations de dépenses au sein d’une mission, qui est l’unité de vote, mais seulement si cela n’en augmente pas le volume global figurant dans le projet du gouvernement. L’information donnée aux parlementaires se doit d’être complète, exacte et sincère afin de favoriser le contrôle parlementaire et l’évaluation de la bonne utilisation des crédits.
Pour l’essentiel, les pouvoirs de contrôle du Parlement sont confiés aux membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les commissions des finances des deux assemblées peuvent procéder à des investigations sur pièces et sur place ; conduire des auditions auxquelles les personnes convoquées sont tenues de se présenter ; demander la communication de renseignements ou de documents d’ordre financier et administratif et, enfin, le Parlement peut bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes dans sa mission de contrôle des finances publiques. Celle-ci peut ainsi réaliser des rapports à sa demande, qui seront intégrés dans les rapports parlementaires.
La LOLF a profondément modifié le « management public », lequel inscrit dans la droite ligne du « nouveau management public », d’inspiration néolibérale et consistant, prosaïquement, à « faire plus avec moins ». Pour les inspirateurs et les partisans de la LOLF en effet, l’action publique est supposée être trop coûteuse et pas assez efficace. C’est la raison pour laquelle la LOLF a fait de la « performance » sa raison d’être. Celle-ci est mesurée par une série d’indicateurs qui figurent dans les documents et rapports thématiques annexés aux projets de loi de finances (on en dénombrait 676 en 2020).
L’objectif étant la compression de la dépense publique, notamment concernant des dépenses de personnel, la LOLF prévoit qu’une dépense de personnel puisse être économisée ou transformée en dépense d’équipement. L’inverse n’est toutefois pas possible. C’est ce que l’on nomme « fongibilité asymétrique des crédits » ; une notion qui, pour les agents publics, est emblématique de la façon dont la gestion des finances publiques a été orientée. Il s’agit en réalité d’un effet cliquet qui incite à réduire les dépenses de personnel. Et ce, avec des conséquences évidentes en matière d’efficacité de l’action publique mais aussi de dégradation des conditions de travail pour les agents publics.
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