Allègements de cotisations sociales : des « niches sociales » coûteuses à revoir !
Plusieurs articles de presse récents en ont parlé : le coût des allègements de cotisations sociales semble, enfin, faire débat. La question n’est pas nouvelle, et en plein conflit contre la réforme des systèmes de retraite, elle mérite d’être connue et sérieusement analysée. Dans un article intitulé « 200 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, pour quelle efficacité ? »* du 28 janvier 2022, nous posions notamment la question du coût abyssal des exonérations et allègements de cotisations sociales (plus de 90 milliards d’euros en 2019). Face au refus obstiné du gouvernement d’envisager une autre solution que la sienne, comme par exemple effectuer une « revue » de ces dispositifs qui permettrait de financer les systèmes de retraite, donc d’éviter un report de l’âge légal ainsi qu’une hausse du nombre d’annuités, il est essentiel de revenir sur cet enjeu.
Le coût des niches sociales a explosé et pourrait atteindre 100 milliards d’euros
Depuis 1993, le nombre et le coût des allègements de toutes sortes, généraux et ciblés, n’a cessé de croître fortement. Le manque à gagner, marginal au début des années 1990, a ainsi dépassé les 5 milliards d’euros en 1996 et les 10 milliards d’euros en 2000 pour dépasser 25 milliards d’euros en 2008 avant d’exploser au cours des dernières années : la commission des comptes de la Sécurité sociale estimait en effet le coût annuel de ces « niches » à 66,4 milliards d’euros en 2019, à 73,7 milliards d’euros en 2021, 78,7 milliards d’euros en 2022 et 84,6 milliards d’euros en 2023…
En 2019, dans son rapport annuel consacrée à la Sécurité sociale, la Cour des comptes estimait toutefois que toutes les niches sociales n’avaient pas été recensées et, par conséquent, que leur coût déjà très élevé était minoré. Elle relevait un doublement du coût de ces dispositifs entre 2013 et 2019 et, procédant à un travail plus global, chiffrait le coût total de 91,3 milliards d’euros en 2019. Un montant qu’elle estime elle-même sans doute inférieur à la réalité.
Le rapport « coût/efficacité » de ces dispositifs apparaît désastreux
Pour les promoteurs de ces dispositifs, les allègements de cotisations sociales permettent de créer et de sauvegarder des emplois, ce qui permettrait de réduire le chômage, en particulier des personnes les moins qualifiées. Mais cet avantage théorique n’a jamais été réellement chiffré ni démontré. Pour le Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et engagements (rapport du COSAPE ; « Les exonérations générales de cotisations » de juillet 2017), rattaché à France Stratégie : « on ne dispose à ce jour d’aucune évaluation des effets sur l’emploi de cette politique sur l’ensemble des vingt-cinq dernières années. Enfin, on sait peu de choses sur la nature des emplois créés ou sauvegardés (par sexe, âge, diplôme, catégorie socioprofessionnelle, expérience) et sur leur ventilation par secteur d’activité ou taille d’entreprise ».
Précisons en outre que ces dispositifs présentent des effets pervers : ils incitent en effet les employeurs à maintenir les salaires en dessous des seuils d’exonération, ce qui crée des trappes à bas salaires, maintient les inégalités et alimente la précarité. Non conditionnés, ils procurent également des effets d’aubaine à des entreprises qui auraient créé des emplois, même sans allègement de cotisations sociales. C’est ce qui explique qu’en 2019, le Conseil d’analyse économique avait préconisé l’abandon pur et simple des baisses de charges entre 1,6 et 3,5 SMIC qui privait alors la Sécurité sociale de 4 milliards d’euros de recettes annuelles. Une proposition modeste torpillée à l’époque par le lobby industriel...
Pour une « revue des niches » permettant de financer les systèmes de retraite et la Sécurité sociale
La stratégie du gouvernement consiste à maintenir ces dispositifs, s’en tenir au strict minimum en matière d’imposition des superprofits, ne pas revenir sur les choix de 2017 (ISF, prélèvement forfaitaire unique) et à poursuivre dogmatiquement la baisse des impôts des entreprises, tout cela en organisant une vague sans précédents de reculs sociaux. Elle est socialement, économiquement et écologiquement intenable et illégitime.
Les « niches », sociales et fiscales, constituent une part importante des aides publiques aux entreprises. Le débat sur la conditionnalité des aides étant engagé, il faut d’évidence procéder à une « revue » de l’ensemble des niches afin de revenir sur ces dispositifs et, ainsi, dégager des ressources pour financer les besoins sociaux, en matière de retraite par exemple. Il est parfaitement possible et souhaitable de dégager plusieurs dizaines de milliards d’euros et d’éviter les effets pervers et d’aubaine de ces dispositifs.
* Note de l’observatoire : « 200 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, pour quelle efficacité ? »