Les écarts de fiscalité entre petites et grandes entreprises perdurent
Le constat est solidement établi : le taux réel d’imposition des petites entreprises est historiquement plus élevé que celui des grandes entreprises, notamment des grands groupes. En 2019, il avait été ainsi démontré que le taux d’imposition des sociétés (IS) des PME s’élevait à 23,7 % de leurs bénéfices quand celui des grandes entreprises était de 17,8 % [1]. Aucune étude de fond n’avait cependant été produite depuis.
Or, dans un contexte de forte tension budgétaire, et après une baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés et diverses mesures en matière d’impôt sur les sociétés (comme par exemple la déductibilité des intérêts d’emprunt du bénéfice imposable, censée élargir l’assiette de l’IS et s’appliquer principalement aux grandes entreprises), la question de ces écarts d’imposition méritait d’être à nouveau étudiée. Les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires, institution rattachée à la Cour des comptes, le confirment toutefois : ils subsistent.
Le CPO confirme ses travaux antérieurs
Le CPO vient en effet de publier un rapport très éclairant sur le sujet [2], « Les différences d’imposition sur les bénéfices entre les PME et les grandes entreprises, rapport du 4 juillet 2023., d’où il ressort que « sur longue période (…) les écarts entre les catégories d’entreprises se sont fortement resserrés entre 2007 et 2019, en raison notamment de la limitation des avantages tirés par les grandes entreprises de la déductibilité des charges financières et des premières étapes de la baisse du taux normal de l’IS, centrées sur les PME et les ETI en 2018 et 2019 ». Si le rapport évoque un resserrement, il montre que celui-ci pourrait n’être cependant que temporaire puisque : « La baisse du taux normal d’IS pour les grandes entreprises entre 2020 et 2022 et la remontée des taux d’intérêt en 2022 et 2023 devraient néanmoins réintroduire un écart avec le taux d’imposition implicite des PME ».
Une partie importante des écarts d’imposition procède de l’utilisation des dépenses fiscales, très inégalement répartie entre les différentes catégories d’entreprises. Concrètement, le CPO a calculé que, « Toutes entreprises confondues, après prise en compte des déficits reportés et avant crédits d’impôts, les grandes entreprises bénéficiaient d’un taux d’imposition implicite plus favorable (28,7% contre 36,8% pour les PME) » Comme le précise le rapport, le taux implicite d’imposition, censé mesurer les écarts d’imposition, ne tient pas compte des crédits d’impôt. Or, ceux-ci bénéficient massivement aux grandes entreprises. A titre d’exemple, « Les grandes entreprises redevables à l’IS bénéficiaient toutes en 2019 d’au moins un crédit d’impôt contre 61% des ETI, 30 % des PME et seulement 8% des microentreprises ». Les grandes entreprises captaient ainsi 45 % du crédit d’impôt recherche en 2019. De manière générale, le CPO confirme que « les grandes entreprises perçoivent une fraction des crédits d’impôt supérieure à leur poids dans l’IS brut ».
Le CPO semble par ailleurs douter de l’impact de l’imposition minimale des multinationales issues de l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il estime en effet que le cadre international et européen aura des « effets incertains sur les différences de taxation entre PME et grandes entreprises ». Autrement dit, les écarts d’imposition pourraient bien perdurer, ce qui n’est guère étonnant puisque la mesure concernant l’imposition minimale ne propose qu’un taux de 15 %. Si certaines multinationales pourraient y être assujetties et voir leur taux réel d’imposition augmenter, cela ne suffira pas à combler les écarts : le taux nominal de l’IS est de 25 % et d’autre part, les niches fiscales et les régimes dérogatoires demeurent prisés par les grandes entreprises.
Retour sur les catégories d’entreprises et leur poids dans l’économie Les microentreprises (MIC) sont des entreprises qui occupent moins de 10 personnes et ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont des entreprises qui occupent moins de 5 000 personnes et ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1.500 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2.000 millions d’euros. Enfin, les grandes entreprises (GE) sont des entreprises qui se situent au-delà des seuils précédents. Selon l’INSEE, en 2019, « 276 grandes entreprises (GE) rassemblent 24 000 unités légales, emploient 3,6 millions de salariés en équivalent temps plein (ETP), soit 27 % du total, et contribuent à 32 % de la valeur ajoutée (VA). À l’opposé, 3,9 millions de microentreprises (MIC) emploient 2,5 millions de salariés, soit 19 % du total et génèrent 19 % de la valeur ajoutée. Entre ces deux extrêmes, 5 900 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 153 000 petites et moyennes entreprises (PME) hors microentreprises emploient respectivement 25 % et 30 % des salariés (ETP) et génèrent 25 % et 23 % de la VA » [3] |
Des travaux portant sur la partie déclarée des bénéfices
Les différents travaux portant sur la réalité de l’imposition, comme ceux du CPO, portent sur les données connues, autrement dit sur les éléments déclarés par les entreprises. Or, le taux réel d’imposition d’une multinationale devrait en toute logique tenir compte des bénéfices réels, déclarés ou non. Sur ce point, les études ne peuvent que toucher à une limite : celle de l’évasion et de la fraude fiscales. Autrement dit, en réalité, les écarts de taux réels d’imposition est encore plus important.
En la matière plusieurs études s’accordent sur un point : l’évasion fiscale des multinationales représente des sommes importantes.
En 2019, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) estimait que les profits réalisés par les multinationales en 2015 et non déclarés en France représentaient 36 milliards d’euros [4].. Pour Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales sont déclarés dans des paradis fiscaux à fiscalité faible ou nulle, soit près de 650 milliards de dollars chaque année à l’échelle mondiale [5].
L’OCDE elle-même a récemment alerté sur les écarts existants entre les territoires sur lesquels les grands groupes exerçaient une activité réelle et ceux où les bénéfices étaient déclarés [6]. En 2018 en effet, les pays riches et les pays à revenu moyen avaient une part plus élevée du total des employés (34 % et 38 %) et du total des immobilisations corporelles (37 % et 24 %) que des profits (27 % et 18 %) des multinationales. En revanche, dans les centres financiers d’investissement, en moyenne, ces grandes entreprises déclarent une part relativement plus élevée de leurs bénéfices (29 %) par rapport à leur part d’employés (4 %).
Auditionnée par la mission d’information de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, Attac a livré une contribution assortie de propositions (telle que la taxation unitaire). En matière de justice fiscale, combler des écarts d’imposition, faire en sorte que les multinationales paient leur juste part et combattre résolument l’évasion fiscale sont trois orientations essentielles. Après tant de travaux et de rapports sur le sujet, à quand des mesures justes et efficaces ?