Niches fiscales : la stratégie grossière du gouvernement

, par Équipe de l’Observatoire

La ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a déclaré vouloir passer en revue l’ensemble des « niches fiscales » afin de « supprimer ce qui est inutile ». "Il y a 85 milliards [d’euros] de niches fiscales.Si vous avez 10% de niches en moins, ça fait huit milliards, a-t-elle ajouté. Bien que la ministre n’ait pas défini ce qui était utile de ce qui ne l’était pas, en soi, cette déclaration est intéressante : elle pointe une réalité sur le grand nombre de « niches » qui affecte le rendement du système fiscal. Il est évident que réduire le nombre et le coût budgétaire de ces dispositifs constitue un enjeu important. Pour autant, cette annonce semble surtout destinée à justifier la remise en cause de l’abattement des 10 % applicables aux retraités en matière d’impôt sur le revenu.

Niche fiscale, niche sociale, de quoi parle-t-on ?

Une « niche fiscale » est une disposition fiscale légale qui permet de réduire l’impôt (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôt sur la fortune immobilière, etc.) ; concrètement, elle prend la forme d’une réduction d’impôt, d’un crédit d’impôt, d’une déduction du revenu ou du bénéfice imposable ou encore d’un régime dérogatoire. Au final, l’impôt réellement payé est donc inférieur à ce qu’il aurait été sans l’application de cette disposition.

Une niche sociale est un allègement de cotisation sociale. Concrètement, une niche sociale s’entend, selon le ministère des comptes publics, comme toute mesure d’exonération, de réduction ou d’abattement d’assiette applicable aux contributions et cotisations sociales, entraînant une perte de recettes pour la Sécurité sociale par rapport à ce qui serait résulté de l’application du taux normal de cotisations ou de contributions sociales.

Une véritable revue des niches ? Chiche !

Pour Attac, une « revue des niches, fiscales et sociales » est une nécessité absolue. Une telle revue permettrait en effet d’analyser le rapport « coût/efficacité/impact sur la redistribution fiscale et sociale » de chacun de ces dispositifs dont le coût global avoisine les 200 milliards d’euros. Il faut également prévoir la suppression des niches « climaticides ». A titre d’exemple, l’Institut for climate economics estime que les niches fiscales climaticides provoquent un manque à gagner de 16 miliards d’euros.

Le coût des niches fiscales se situe entre 85 à 90 milliards d’euros et environ autant pour les « niches sociales ». Il faut par ailleurs ajouter le coût, élevé, de certains régimes dérogatoires comme l’exonération de plus-values sur cessions de titres pour les entreprises (la « niche Copé »), le régime de l’intégration fiscale (qui permet à un groupe de consolider l’ensemble de ces bénéfices et pertes) et le régime dit « filles-mère » (une exonération sur les versements de dividendes au sein d’un groupe de sociétés). Ces trois dispositifs ne sont plus mentionnés dans les documents annexés aux lois de finances depuis 2019. A l’époque, ils représentaient un manque à gagner global de 41 milliards d’euros.

Une véritable revue de ces dispositifs permettrait de supprimer ceux qui sont inefficaces et injustes (car procurant un avantage indu à leurs bénéficiaires), réformer ceux qui pourraient atteindre leur objectif voire maintenir les dispositifs justes et efficaces. On en est encore bien loin.

La « revue » du gouvernement, un écran de fumée !

En réalité, les déclarations du gouvernement ressemblent surtout à un écran de fumée destiné à légitimer la mesure qu’il cherche à imposer : la suppression de l’abattement de 10 % sur les pensions de retraites. Précisons ici que, contrairement à ce qui est souvent avancé, cet abattement, instauré en 1978, n’est pas destiné à couvrir les frais professionnels des retraité·es. Il a été instauré pour compenser le fait qu’ils avaient moins la possibilité de dissimuler leurs revenus au fisc que d’autres catégories de contribuables comme les commerçants et les professions libérales notamment.

Supprimer cet abattement ne répond en rien aux objectifs qu’une « revue des niches » digne de ce nom devrait se fixer : rétablir davantage de justice fiscale, neutraliser les stratégies d’optimisation fiscale et dégager des recettes. Une telle suppression introduirait des injustices supplémentaires puisqu’elle reviendrait à rendre imposables des retraité·es qui, grâce à cet abattement, ne paient pas d’impôt sur le revenu en raison de revenus trop faibles. Les retraité·es imposables paieraient, pour leur part, davantage sans que leur pension ne soit revue à la hausse. Par ailleurs, cet abattement n’a rien à voir avec les stratégies d’optimisation fiscale mises en œuvre par les plus aisés (au point que leur taux réel d’imposition décroît au-delà d’un certain niveau de revenu) : en effet, à la différence des « niches » et autres dispositifs utilisés dans certains montages (pacte Dutreil, réduction pour placements dans certains fonds, etc), les retraités ne choisissent pas d’actionner cet abattement, celui-ci s’appliquant automatiquement. Enfin, s’agissant des recettes, le surcroît d’impôt qui serait payé par les retraité·es obérera leur consommation, donc certaines rentrées fiscales.

Une fois de plus, le gouvernement reste obstinément fermé à l’idée de mettre davantage à contribution les agents économiques les plus aisés, grands gagnants des politiques fiscales mises en œuvre depuis 2018 notamment. Ce faisant, il contribuera une fois de plus à dégrader le consentement à l’impôt, pilier d’une vie en démocratie, et à aggraver la crise démocratique. Rarement un dogme fiscal n’aura été à ce point défendu, envers et contre tout, notamment contre les travaux menés ex-post et démontrant que ces mesures ont été injustes, coûteuses et inefficaces. L’enjeu n’est donc pas de faire payer davantage les retraité·es en général, mais les personnes ls plus aisées en fonction de leurs facultés, qu’elles soient actives ou retraité·es, dans le respect de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. En la matière, des propositions justes existent.

La ficelle est un peu grosse. Attac met le gouvernement au défi d’engager une véritable revue des niches fiscales et sociales dont l’objectif serait de rétablir davantage de justice fiscale, donc de progressivité, et de dégager des recettes qui seraient particulièrement utiles pour financer l’action publique.