Entretien avec Oxfam pour son manifeste "pour une fiscalité juste, verte et féministe " 4 questions à Quentin Parrinello, responsable Plaidoyer Justice Fiscale et Inégalités pour Oxfam France

, par Équipe de l’Observatoire

1. Oxfam publie ce jeudi son « manifeste pour une fiscalité juste, verte et féministe », avant de rentrer dans le détail des mesures peux-tu nous expliquer quel est l’objectif de ce manifeste et pourquoi le publier maintenant ?

Quentin Parrinello : On publie ce manifeste aujourd’hui parce qu’on veut montrer qu’en matière de fiscalité, il y a des alternatives au discours de toute une partie de la classe politique qui cherche à baisser les impôts coûte que coûte et surtout à baisser les impôts des plus riches et des grandes entreprises. Le problème, lorsqu’on baisse les impôts des riches et des grandes entreprises, c’est que ça se transforme en coupes dans les services publics, en hausse d’impôts pour les classes moyennes et les classes populaires. Des alternatives existent : on veut aller taxer les multinationales qui font de l’évasion fiscale, les plus riches qui se sont enrichis pendant la crise, les gros pollueurs, pour financer des services publics renforcés, pour financer un modèle social à la hauteur de nos besoins, pour financer la transition écologique. C’est tout l’enjeu qu’on veut montrer avec ce manifeste.
On le publie à quelques mois de l’élection présidentielle, ce manifeste est en train d’être adressé à tous les candidats – sauf l’extrême-droite - il y en a déjà certains qui l’ont reçu et qui souhaitent nous rencontrer. On veut pouvoir influencer le débat public et montrer que les choix de politique sociale, économique et fiscale peuvent être radicalement différents de ce qui est proposé par toute une partie de la classe politique aujourd’hui.

2. Ce manifeste s’appelle donc « manifeste pour une fiscalité juste, verte et féministe », on va reprendre ces 3 termes ; d’abord quelles sont les propositions d’Oxfam pour rétablir la justice fiscale ?

QP  : En tout il y a 15 propositions sur la justice climatique, la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, et pour réduire les inégalités. Il faut savoir que ces 15 mesures ne font pas augmenter la contribution fiscale de ceux qui gagnent moins de 2500 euros nets par mois, c’est-à-dire environ 70 % des français. L’objectif c’est que les mesures puissent à la fois réduire les inégalités et financer un modèle social renforcé. On pose la question qu’Attac et toute une partie de la société civile posent depuis des années, et encore plus depuis la crise du coronavirus, c’est-à-dire à qui on demande de payer la facture. Et une partie de la réponse c’est de faire payer les plus riches, qui s’enrichissent de plus en plus. Oxfam et Attac sont bien placés pour le savoir car on a sorti ensemble toute une analyse sur l’enrichissement des milliardaires (lien vers https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/note-l-indecent-enrichissement-des-milliardaires-francais-pendant-la-pandemie). On demande notamment la mise en place d’un impôt sur la fortune refondé, renforcé ; on ne demande pas simplement à remettre l’ISF tel qu’il existait avant 2017, mais à le renforcer en modifiant certaines niches fiscales qui profitent aux plus riches ; on modifie le plafonnement de l’ISF qui permettait aux milliardaires de ne presque pas payer, on modifie le pacte Dutreil c’est-à-dire l’exonération pour l’outil professionnel qui profite plus aux très gros milliardaires qu’aux petits patrons de PME, c’est une manière de rétablir un ISF qui serait autour de 10 milliards d’euros. A cet ISF, on ajoute un volet climatique pour taxer les milliardaires les plus polluants qui rapportera 4 milliards d’euros supplémentaires.
Au delà de l’ISF, on va aussi travailler sur l’héritage. On propose de changer complètement de braquet. Aujourd’hui les droits de succession sont très peu compris par les français, qui surestiment les montants payés, alors que seulement 20% des successions environ sont taxées et que le taux moyen en ligne directe est de l’ordre de 5 % (voir la note de l’Observatoire de la justice fiscale : https://obs-justice-fiscale.attac.org/publications/article/rehabiliter-les-droits-de-succession-et-de-donation). Le problème c’est que pour les très grosses successions, il existe tout un tas d’exonérations qui permettent de transmettre jusqu’à un million d’euros sans être taxés un seul euro. Donc ce qu’on propose c’est d’avoir un système beaucoup plus simple, où on va laisser un montant de succession sans être taxé, à décider démocratiquement, et après cela aucune exonération et des taux sur les droits de succession beaucoup plus forts qu’aujourd’hui. Le but est de cibler les très gros héritages.
Par ailleurs, on veut aussi s’attaquer aux grosses multinationales et notamment à celles qui pratiquent l’évasion fiscale, qui utilisent les paradis fiscaux. On demande à mettre en place un taux d’impôt minimum effectif plus haut que les 15% qui ont été décidés, on montre 2 hypothèses, une à 21% et l’autre 25%, mais surtout on enlève toutes les exonérations qui existent dans l’accord et qui devraient permettre aux multinationales de payer encore moins que 15%. Et enfin on propose la taxation unitaire des multinationales.
On va donc demander de l’argent à ceux qui ont bénéficié de la crise, les plus riches, et aux grosses multinationales qui font de l’évasion fiscale.

3. L’observatoire de la justice fiscale vient de publier un article intitulé « Peut-on instaurer une véritable fiscalité écologique ? » (https://obs-justice-fiscale.attac.org/publications/article/peut-on-instaurer-une-veritable-fiscalite-ecologique) qui montre qu’aujourd’hui la fiscalité écologique est inefficace et injuste. Est-ce qu’Oxfam partage ce constat et quelles sont vos propositions pour avancer vers la justice climatique ?

QP  : La manière dont on se déplace, dont on se chauffe, dont on mange... ça émet des gaz à effet de serre, ça fait grimper notre empreinte carbone. Le but premier de la fiscalité écologique c’est de faire changer les comportements et non pas de lever de l’argent. Jusqu’à présent la réponse principale des économistes c’est de dire « il faut mettre en place une taxe carbone sur les individus », c’est-à-dire qu’on va renchérir les comportements polluants des individus pour qu’ils arrêtent. Or le problème des taxes carbone sur les individus c’est que ce sont des taxes qui sont extrêmement injustes, parce que quand on taxe la consommation, on taxe plus les plus précaires que les plus riches car ils dédient une part beaucoup plus importante de leurs revenus à consommer plutôt qu’à épargner. L’État n’investit pas assez à côté dans les alternatives, on a tous en tête cet exemple souvent évoqué lors du mouvement de Gilets jaunes, une personne qui doit prendre sa voiture et faire 20 kilomètres aller par jour pour aller travailler, c’est très bien de dire que prendre sa voiture ça pollue, mais si vous ne lui offrez pas d’alternative à côté, une ligne de train, de transport en commun, du vélo, du télétravail, cette personne ne pourra pas changer de comportement.
Le deuxième point d’injustice c’est que les comportements les plus polluants aujourd’hui, c’est pas la classe moyenne, c’est pas la classe populaire, ce sont les plus riches. On a des empreintes carbone qui sont 4 à 5 fois plus importantes quand on regarde les 10% les plus riches, qui sont 66 fois plus importantes quand on regarde les 1% les plus riches des français par rapport aux 10% les plus précaires. Or la taxe carbone pèse moins sur les plus riches. Il faut que la fiscalité écologique cible en priorité les plus riches et qu’on fasse émerger des alternatives aux comportements polluants pour les plus précaires.
L’État doit mettre fin très rapidement aux niches fiscales climaticides, parce que ça encourage des comportements polluants. Au lieu de repousser la responsabilité sur les individus, et notamment les plus précaires, qui n’ont pas d’alternative, nous voulons une fiscalité écologique qui cible les grandes entreprises, les banques, les milliardaires, pour faire changer leurs comportements polluants, notamment de ceux qui détiennent les moyens de production.

4. L’observatoire de la justice fiscale a publié un entretien avec Christiane Marty qui montre en quoi le quotient familial et conjugal est dépassé (lien vers https://obs-justice-fiscale.attac.org/debats/article/quotient-familial-et-conjugal-pourquoi-et-comment-le-reformer), est-ce qu’Oxfam partage ce constat et quelles sont vos propositions pour que la fiscalité devienne féministe ?

QP  : On s’est posé la question du rôle de la fiscalité dans les inégalités femmes – hommes, on sait qu’aujourd’hui on a le principe d’égalité dans la Constitution, on a la jurisprudence « à travail égal, salaire égal » mais que dans les faits il y a toujours des écarts de salaires extrêmement forts. Lorsqu’on regarde en détail, on voit que cet écart de salaire réside essentiellement dans la surreprésentation des femmes dans les emplois précaires, à temps partiel, et dans des branches de métiers moins rémunérées. Donc la question qu’on se pose c’est quelle est la part de responsabilité de la fiscalité ? Dans le manifeste on s’attaque notamment à la question du quotient conjugal, qui permet de grouper les revenus d’un couple marié ou pacsé, et qui va finalement finalement, implicitement, augmenter le taux d’imposition du revenu le plus faible et baisser le taux d’imposition du revenu le plus aisé. Le premier impact c’est de faire baisser les impôts au niveau d’un couple, on pourrait se dire que c’est une mesure de justice fiscale, effectivement en couple il y a des dépenses supplémentaires. Mais le problème est dans la spécialisation qui en découle. Dans un couple où le quotient conjugal fait augmenter implicitement le taux d’imposition de la femme et fait baisser implicitement le taux d’imposition de l’homme, puisque l’homme gagne mieux sa vie que la femme dans la majorité des couples, il y a une « spécialisation » qui s’opère au sein du couple : s’il doit y avoir une personne qui travaille plus c’est l’homme et donc ça va retrancher la femme dans une situation de travail domestique non rémunéré beaucoup plus important, de renoncement à des choix de carrière, et donc finalement ça accélère la spécialisation au sein des couples et les inégalités salariales. Donc une des premières pistes est l’individualisation de l’impôt sur le revenu, y compris pour une raison de lisibilité.
A cela on ajoute une attelle : dans plein de cas les hommes vont payer plus d’impôts que les femmes, nous ce qu’on veut c’est que le niveau d’imposition reflète le réel niveau de revenu d’une personne, mais on ne veut pas faire augmenter l’impôt sur les personnes qui gagnent moins de 2500 euros net par mois, soit 70 % des français. Donc, pour les personnes qui gagnent moins, on propose de mettre en place des mesures compensatoires de baisse de l’impôt sur le revenu et ces personnes ne verront pas leurs impôts augmenter. En revanche, ça fera baisser l’imposition des femmes.
Le deuxième point, notamment après avoir discuté avec plusieurs sociologues, on a tenu à faire un encart sur la fiscalité des pensions alimentaires. Il faut savoir qu’aujourd’hui lorsqu’une pension alimentaire est versée, elle est déduite du revenu des hommes et est réintroduite dans le revenu fiscal de référence des femmes, ce qui fait non seulement augmenter l’impôt des femmes qui reçoivent une pension alimentaire, mais peut aussi les sortir de certains minima sociaux, ce qui les met dans situation de dépendance envers leur ex conjoint, parce que dans 97% des cas la pension alimentaire est versée par un homme à une femme. Ce qu’on demande comme première étape, c’est déjà de défiscaliser la pension alimentaire versée aux femmes pour être sûr qu’elles ne soient pas privées de minima sociaux, jusqu’à un certain plafond, on appelle à un débat démocratique pour déterminer ce plafond.
Ce sont deux mesures de fiscalité féministe qu’on met sur la table. Au vu de l’expérience du dernier quinquennat, on s’est dit qu’on préférait avoir un vrai débat démocratique sur le quotient conjugal avec l’ensemble des partenaires sociaux, soit sur un plafonnement beaucoup plus sévère, soit une fin pure et simple du quotient conjugal. Et je vois qu’Attac a déjà des idées à proposer là-dessus.

Propos recueillis par l’Équipe de l’Observatoire de la justice fiscale

Retrouvez ici le manifeste d’Oxfam :
[https://www.oxfamfrance.org/rapports/manifeste-fiscal-juste-vert-et-feministe-quelles-reformes-pour-un-modele-fiscal-moins-inegalitaire]